Le grand vent du déconfinement a commencé à souffler, mais celui-ci reste relativement variable suivant les pays, des plus rigides comme la France ou l’Inde aux plus souples comme la Suède, l’Allemagne ou certaines parties des États-Unis.

Le contraste est grand en tout cas entre les marchés, y compris des produits, qui joue déjà la reprise et la réalité d’un mois de mai qui risque d’être à peine plus soutenu qu’avril qui risque d’entrer dans l ‘ histoire économique comme le point le plus bas – mais très bas! – de cette crise de 2020. Les comparaisons historiques ne manquent pas d’ailleurs: pour la Banque d’Angleterre, la situation est la pire que le Royaume ait connue depuis le «grand froid» de … 1709, dont la France avait été la principale victime. Quant au chômage aux États-Unis, il est au plus haut (14,7% en avril) depuis août 1935.

Un «grand froid économique»

Le FMI prévoit un recul de 3% de l’économie mondiale en 2020. La banque américaine Wells Fargo a placé le curseur à – 3,8% avec des chiffres négatifs pour les deux grandes économies émergentes, l’Inde (-1,7 %) et la Chine (-1,2%). L’inquiétude s’est en effet de plus en plus portée sur les pays émergents, non seulement ceux qui sont déjà en crise comme l’Argentine, le Liban ou même la Turquie, mais ceux qui auraient pu faire illusion comme l’Afrique du Sud (-4,5% ou moins en 2020) ou la Russie (–4% à –10%). L’Inde vient d’annoncer un plan de relance de 270 milliards de dollars, ce qui représente l’équivalent de 10% de son PIB. Il est vrai que le confinement est en place de manière très stricte à presque paralysé une économie dont la production industrielle en mars était déjà en baisse de 17%. Le seul signe d’espérance vient de Chine où le rebond escompté semble se matérialiser: la production d’acier a augmenté de 7,7% en avril à 85 mt (et + 1,3% pour les quatre premiers mois de l’année) ). Aux États-Unis, les chiffres du chômage et de l’emploi ont été catastrophiques: en avril, les États-Unis ont détruit 20,5 millions d’emplois. Le chômage est à 14,7%, à 22,8% si l’on tient compte du temps partiel subi et le taux d’activité n’est plus que de 60%. Sur les 25 millions d’Américains qui ont perdu leur couverture médicale, 7 millions n’ont aucune solution et se retrouvent donc sans protection. Les démocrates discutées à la Chambre des représentants (qu’ils contrôlent) d’un nouveau plan d’aide de 3000 milliards de dollars, mais il y a peu de chances que le Sénat républicain l’adopte! Pourtant Jay Powell,

En Europe, les chiffres de croissance du premier trimestre ont confirmé toutes les appréhensions. La France (-5,8%) est bien le plus mauvais élève européen devant la Slovaquie (5,4%) et l’Espagne (-5,2%). L’Allemagne (-2,3%) améliore la moyenne de la zone euro (-3,8%) où seule la Finlande affiche une performance légèrement positive (+0,1%). En France, l’économie aurait tourné à 73% de ses capacités en avril; et Goldman Sachs (dont la fiabilité des prévisions économiques est heureusement assez limitée) anticipe un recul de l’économie française de 13% en 2020! Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre annonce –25% au deuxième trimestre! Il est cependant fort probable que le creux de ce qui sera plus un U qu’un V sera atteint en ce mois de mai au prix d’un cortège de misères et de déficits que nul n’avait imaginé,

Au niveau mondial, le recul commercial est incontestable: ceux qui perdent son directeur général, le brésilien Roberto Azevêdo, dont les mandats auront été été des échecs) proposent deux scénarii: l’un à –13% et l’autre à –32%. Partout les échanges diminuent et le trafic des conteneurs est en net repli (on parle de – 25%). Faut-il pour autant imaginer la fin de la mondialisation, c’est probablement exagéré. Mais, à l’image de l’industrie pharmaceutique, secouée en Europe par l’affaire Sanofi (et la bêtise de son directeur général britannique) nombre de chaînes de valeur d’intérêt remises en cause, simplifiées et raccourcies dans les mois à venir. Et pendant ce temps, les marchés de commodités reprennent quelques couleurs.

Rebond pétrolier?

À 30 $ pour le baril de Brent et 25 $ pour le WTI, avec des échéances qui s’annoncent à peu près «normales» sans trop de risques de prix négatifs, le marché du pétrole n’a pas encore tourné la page de la crise et l’horizon reste bien sombre pour la plupart des producteurs.

Est-ce où des États-Unis qui vont retirer d’Arabie Saoudite deux batteries de missiles Patriot, mais le royaume a décidé de diminuer d’un million de barils / jour supplémentaire sa production en juin, ce qui fera une baisse totale par rapport à avril de 4,8 mbj. Le Koweït et les Émirats ont suivi à hauteur de 80 000 et 100 000 b / j respectivement. Ceci compensera les difficultés rencontrées par l’Irak pour réduire sa production: le gouvernement de Bagdad est parvenu à un accord avec les grandes compagnies concessionnaires et la réduction serait de 700 000 b / j (contre 1,06 mbj prévu). De son côté, la Russie serait en mai sur une base de production de 8,65 mbj, très proche de ses engagements. L’OPEP + a par ailleurs décidé de réduire sa production sur les mêmes bases au-delà du mois de juin.

Du côté américain, la baisse de production serait, d’après Reuter, de 1,7mbj à la miannée: le seul champ de Bakken (Dakota) aurait enregistré une baisse de 500 000 bj. L’AIE anticipe une baisse globale de 3 mbj en fin d’année. Le nombre de forages est tombé au plus bas depuis 1940: 374 puits aux États-Unis, 26 au Canada. On parle de «coronavirus derigging»! Il est vrai que le Canada les coûts (dividendes inclus …) ne s’est produit à s’équilibrer qu’au-delà de 30 $ le baril de WTI). À propos de dividendes, Saudi Aramco a quand même décidé de verser un trimestriel de 18,8 milliards de dollars pour le premier trimestre 2020, c’est-à-dire plus que le «free cash flow» de ces trois mois (15 milliards de dollars ). Voilà de la bonne gestion! Le Venezuela pourrait en rêver: ses revenus pétroliers qui, dans les grandes années atteignaient 100 milliards de dollars et qui en 2019 ne dépassaient pas 15 milliards de dollars, tombant selon certaines estimations en 2020 à 4 milliards de dollars. Il se dit que la république bolivarienne utilise ses derniers lingots d’or pour payer à l’Iran ses livraisons d’essence (cinq tankers seraient en route).

Du côté de la demande, même si un léger vent de reprise commence à souffler sur l’essence aux États-Unis par exemple, les estimations de baisse moyenne sur l’année sont de 8 à 9%: 8,1 mbj pour l ‘ EIA américaine, 8,6 mbj pour l’AIE, 9,07 mbj pour l’OPEP. D’après l’EIA, en tenant compte d’une baisse moyenne de la production de 5,4 mbj, l’excédent mondial en 2020 serait encore de 2,6 mbj. Cette situation a rencontré en preuve la fragilité de très nombreux pays producteurs ainsi que d’indépendants aux États-Unis. Un des pionniers du gaz de schiste, Chesapeake, est ainsi au bord du chapitre 11.

Le Fonds norvégien, le plus riche de la planète, n’a pas ces problèmes, du moins pour l’instant. Il vient de décider d’exclure de ses placements des sociétés qui ne sont pas assez désengagées de la production ou de l’utilisation du charbon: anglo-américain (dont il détient 2,4%), Glencore (1,2%), RWE, Sasol … C’est là fort louable, mais le fonds pourrait balayer aussi ses propres écuries. On a appris que son nouveau dirigeant, jusque-là gestionnaire de fonds, avait logé ses avoirs familiaux à Jersey et immatriculé l’équipage de son yacht aux Iles Vierges britanniques. Belle exemplarité!

Tassement métallique

L’heure est aussi aux comptes pour les marchés des métaux dont le rebond ces dernières semaines s’est quelque peu essoufflé tant que la réalité des excédents qui vont s’accumuler en 2020 pèse sur le marché. La situation la pire est celle de l’aluminium: avec une baisse de 8,8% de la demande, l’excédent atteindrait, d’après CRU, 5,25 mt. Pour le zinc, l’excédent mondial pourrait atteindre le million de tonnes et pour le cuivre on serait proche de 500 000 tonnes. Les hausses les plus récentes étaient probablement un peu prématurées surtout en ce qui concerne le zinc. Pendant ce temps, le «ring» reste fermé au LME et on peut se demander si ce dernier bastion des traditions et de «open outecry» le restera définitivement (il en est d’ailleurs d’ailleurs de la même d’une autre institution, celle du marché de l’assurance, les Lloyds).

Des pluies sur la Russie

Il y a plus sur les grandes plaines russes et les craintes de ces dernières semaines sont dissipées: la Russie devrait pouvoir exporter 35 mt de blé sur la campagne 2020-2021 (33,5 mt cette année). Le Kazakhstan serait aussi en progression (7,5 contre 6 mt). Seule l’Ukraine, qui a effectivement souffert d’un déficit hydrique, verrait ses exportations diminuer de 20 à18 mt. En cette fin de campagne, les prix à l’exportation en Europe sont maintenus au-dessus de 200 € la tonne. La France aura en tout cas réalisé une superbe campagne avec un record de 13,3 millions d’exportations de blé hors de l’Union européenne.

De l’autre côté de l’Atlantique, c’est la débandade sur le marché du maïs avec des emblavements record et pour l’instant prévenant des conditions climatiques. Aux prix actuels (un peu plus de 3 $ le boisseau), un «agriculteur» ne couvre pas la réalité de ses coûts de production: dans l’Indiana, un acre de maïs coûte 606 $ à cultiver et le rendement record historique a été de 185 boisseaux par acre. Mais notre agriculteur peut espérer qu’en année électorale, Donald ne l’oubliera pas.

Par contre la Chine aurait représailles ses achats de soja aux États-Unis. Sur la campagne 2019-2020, les chiffres obtenus cependant accablants: la Chine aurait importé 87,5 mt de graines de soja: 63,7 mt du Brésil et 13,7 mt seulement en provenance des États-Unis. On voit mal les Chinois remettre en cause leurs investissements au Brésil!

Au Brésil justement la campagne sucrière bat son plein et s’annonce excellente: dans la région du Centre-Sud, 37 mt de cannes ont été broyées sur la deuxième quinzaine d’avril (+ 19%) et 45% de ces cannes ont été utilisé pour produire du sucre contre 30% en temps normal. Autour de 10 cents la livre, le marché du sucre encaisse les mauvaises nouvelles.

Enfin, le grand souci agricole demeure celui de la main d’œuvre, qu’il s’agisse de la production de mangues en Inde, de la cueillette du café au Brésil et en Colombie (1,25 million de personnes concernées), des abattoirs aux États-Unis, de la saison des fruits et légumes en Europe. On avait peut-être un peu vite oublié que derrière les plantes et les animaux, il y a des hommes …

Fin de trêve

Pour chacun d’entre nous, le temps du déconfinement marqué d’une certaine forme de retour à la normale. Il en est de même sur les marchés (à l’exception notable du pétrole) et sur les scènes politiques et géopolitiques. Partout les jeux politiques reprennent le dessus et à nouveau l’élection présidentielle américaine va occuper le devant de l’actualité. Les tensions géopolitiques reprennent le dessus à l’image des relations sino-américaines de plus en plus tendues sur fond de querelles sanitaires. L’Europe peine à se remettre du «jugement de Karlsruhe» qui affaiblit sa seule institution à peu près opérationnelle (la BCE). Signe des temps, l’événement politique majeur de la semaine à venir sera l’ouverture de la réunion annuelle de l’Assemblée nationale populaire chinoise:

 


 

Save the Date: Prochain Déjeuner Cyclope, le 9 juillet 2020

Le prochain déjeuner du Cercle aura lieu le 9 juillet 2020. Une occasion unique de passer en revue les tendances des principaux marchés, les prévisions «post-coronavirus» et surtout d’assister à la présentation du «Commodity Yearbook» du Cercle Cyclope.
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