Philippe Chalmin est considéré comme un des meilleurs spécialistes mondiaux des matières premières. Membre du Conseil d’analyse économique auprès du gouvernement, il est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages. Vous trouverez ici ses dernières Chroniques.

26 juillet 2022
L’Assemblée nationale ne prend pas de vacances en France. Sans majorité, le gouvernement doit négocier ses soutiens, accepter parfois les amendements les plus incongrus et renoncer au passage à quelques grands principes oubliés à droite comme à gauche, ceux par exemple de l’équilibre budgétaire.

Comme on pouvait s’y attendre, c’est le prix des carburants qui a suscité les assauts les plus virulents. Au printemps, le gouvernement avait accordé une baisse de 18 centimes au litre. Celle-ci avait été vite balayée par la hausse du prix du baril et les tensions sur les marchés des produits pétroliers. Le seuil des 2 euros le litre avait été franchi. Curieusement, l’attaque est venue de ceux qui auraient dû être les plus orthodoxes en matière budgétaire : les députés LR qui usent et abusent de leur rôle charnière dans l’hémicycle. Alors que le projet de loi prévoyait la mise en place d’un système ciblé visant les utilisateurs d’automobiles pour des raisons professionnelles, le groupe LR demandait un plafonnement du litre d’essence à 1,50 euro ce qui en termes budgétaires était totalement irréaliste. Finalement, le marchandage a donné une baisse générale de 30 centimes sur septembre et octobre et de 10 centimes par la suite et l’abandon du ciblage : coût de l’opération, quand même près de 4 milliards ! Admirable démocratie populiste !

24 juillet 2022
L’OCDE vient de publier une étonnante statistique : il s’agit de l’évolution des naissances hors mariage entre 1970 et 2018. Sans surprise, la proportion a nettement augmenté, passant de 7 % à 42 % des naissances. Mais le plus intéressant c’est de constater la disparité entre pays et civilisations. Au Japon et en Corée, les naissances hors mariage sont pratiquement inexistantes (2 %) avec – il faut bien le souligner – un très faible taux de natalité. À l’inverse, le record est détenu par le Chili (74 %) devant l’Islande (70 %). Dans le cas du Chili, on peut mesurer là l’impact de la déchristianisation du pays dans les années post-Pinochet. Mais l’Espagne post-franquiste affiche un taux inférieur à 50 %.

La France est le pays qui a connu l’évolution la plus radicale passant de 7 % à 60 %, au troisième rang des pays de l’OCDE, loin devant les États-Unis (39 %), l’Allemagne et l’Italie (33 %). C’est en France que la famille traditionnelle a le plus régressé : 46 % des enfants de 0 à 5 ans ont des parents qui cohabitent et 11 % vivent dans des foyers monoparentaux. De manière curieuse, le mariage intervient souvent après la – ou les – naissance. Pourtant, s’il est une décision sans retour, c’est bien celle d’avoir un enfant et celui-ci a le droit d’avoir des parents qui ont un peu réfléchi à leur engagement. On peut en effet divorcer de son conjoint, mais jamais d’un enfant.

22 juillet 2022
Vladimir Poutine ménage ses effets et il a fait cette semaine « patte de velours ». Non seulement le gazoduc Nordstream I a recommencé à fonctionner après dix jours de « maintenance » (mais à 40 % de sa capacité comme auparavant), mais à Ankara, la Russie a signé un accord avec les Nations unies et la Turquie pour libérer les céréales des ports ukrainiens et assurer des corridors de sécurité au travers des eaux minées. Dans l’un et l’autre cas, la position russe n’est pas dénuée d’ambiguïté : derrière l’image du « good guy », il y a toujours le bâton et on voit mal Vladimir Poutine atténuer l’impact des principales armes économiques dont il dispose : le gaz et les céréales.

En ce qui concerne le gaz, il joue sur du velours tant il « tient » les pays à l’est de l’Europe et notamment l’Allemagne. Il suffit de voir l’accueil ambigu qui a été fait au plan de sobriété proposé par la Commission. Pour les céréales, l’accord d’Ankara suscite d’autant plus de réserves que quelques heures plus tard, l’armée russe a bombardé Odessa, l’un des trois ports d’exportation qui restent contrôlés par les troupes ukrainiennes. Et au passage, la Russie a obtenu d’exporter des engrais en échappant aux sanctions (ce qui d’ailleurs et un peu cyniquement arrange tout le monde).
La suite au prochain épisode de ce feuilleton du gaz et du blé.

20 juillet 2022
Grand retour en France d’une de nos spécialités : la démagogie fiscale ! Cette fois-ci, il s’agit de taxer les « surprofits » des profiteurs de guerre, avec deux entreprises en fait dans le viseur, Total et CMACGM.

Ces deux entreprises sont dans une certaine mesure des exceptions françaises. Rien ne prédisposait en effet la France à avoir l’un des quatre grands pétroliers mondiaux (lointain héritage du Traité de Versailles et des pétroles du Sahara) et encore moins le deuxième armateur de conteneurs au monde. Dans la plupart des pays on se réjouirait d’avoir de tels champions et on en mesurerait l’impact en termes d’activité, à Pau par exemple où Total a regroupé ses activités d’exploitation, à Marseille où la tour de CMA-CGM domine un paysage économique sinistré et un port à la réputation sulfureuse. Que ces entreprises gagnent de l’argent, pour l’essentiel en dehors des frontières de l’hexagone, grâce à la hausse des prix mondiaux du pétrole et du gaz pour l’une, des taux de fret de conteneurs pour l’autre, n’a rien de choquant. Il y a dix ans, CMA-CGM était au bord de la faillite, asphyxiée à l’époque par des taux de fret trop bas. La conjoncture est favorable aujourd’hui. Faut-il pour autant les montrer du doigt et en faire des profiteurs qu’il faut taxer d’importance. Un seul mot : ridicule !

16 juillet 2022
La Chine est à l’arrêt. Au deuxième trimestre, la croissance (en rythme annuel) n’a été que de 0,4 %, le pire depuis au moins une trentaine d’années si l’on excepte le premier trimestre du Covid. En soi, cela n’a rien d’étonnant et la réalité est probablement beaucoup plus médiocre. Mais à quelques semaines d’un Congrès du PCC qui doit l’adouber « à vie », Xi Jinping ne pouvait prendre le risque d’un chiffre négatif.

La Chine vit encore à l’heure du confinement de masse. Shanghai n’en est pas encore sortie (peut-être aussi pour des raisons politiques et pour punir ses dirigeants d’une forme de fronde vis-à-vis de Pékin). Au total, ce sont trente et une villes qui subissent une forme ou une autre de confinement : elles regroupent près de 250 millions de personnes et pèsent 17,5 % de l’activité économique. Des activités comme le raffinage du pétrole ou la production d’acier s’affichent en négatif sur les derniers mois.

En réalité par rapport au premier semestre, la Chine est en négatif de 2,6 % et la croissance au premier semestre n’aura été que de 2,5 %, bien loin des 5,5 % affichés au printemps.
L’arrêt du moteur chinois touche la planète entière. Il inquiète aussi tant le risque est grand de voir les hommes en place chercher à faire oublier leurs déconvenues économiques par un surcroît de nationalisme.

15 juillet 2022
Joe Biden ne doit pas être très fier de lui ce matin alors qu’un avion le transporte d’Israël à Djeddah où il sera accueilli par le roi, mais surtout par le prince héritier Mohamed Bin Salman. Biden vient à Canossa pour quelques barils de plus… que l’Arabie saoudite se gardera bien de fournir à un marché repassé sous les $ 100.

L’Arabie saoudite profite d’ailleurs de la situation pour importer du fuel russe bradé pour produire… de l’électricité. Le Royaume est en effet l’un des pires exemples de gabegie énergétique de la planète. L’été, alors que les climatiseurs fonctionnent au maximum, quelque 600 000 bj de fuel sont utilisés pour produire le surplus d’électricité nécessaire. Et pour couronner le tout, une partie du fuel consommé par l’Arabie saoudite est donc importé de Russie via le port émirati de Fujairah qui en a déjà importé plus de 2 mt en 2022.

On comprend que ni les Saoudiens ni les Émiratis n’aient envie de mettre un terme à leur subtil jeu de balance entre l’Occident et la Russie. Dans le Golfe, le « grand jeu » continue et il n’est plus question de poser des questions sur les droits de l’homme ou les engagements environnementaux. Au nom de la « realpolitik », on ferme les yeux comme on les fermera cet automne pour la Coupe du Monde de football au Qatar qui vaut bien quelques cargaisons de GNL !

14 juillet 2022
L’exercice avait impressionné Donald Trump lui-même ! Et c’est vrai que le défilé militaire sur les Champs-Élysées à Paris « a de la gueule ». La France est presque la seule démocratie à avoir conservé cette tradition militaire que l’on retrouve intacte par contre de la Chine à la Russie ou à la Corée du Nord.

Autre tradition avec laquelle Emmanuel Macron a renoué cette année, celle de l’entretien du président avec des journalistes bien choisis et plutôt consensuels. En 2022, c’était d’autant plus nécessaire que, après des élections législatives peu convaincantes, Emmanuel Macron se devait de préciser quelque peu la trajectoire de son deuxième quinquennat. Il l’a fait, mais, à sa manière, en laissant traîner quelques ambiguïtés. Sur un point par contre, il a été clair : celui de la nécessaire sobriété énergétique du fait des perspectives d’un automne difficile. Les Français ne sont en effet pas conscients de la gravité de la situation. Protégés comme ils le sont par les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, ils ne réalisent pas que dehors, dans la vie « réelle », les prix sont quatre à cinq fois plus élevés (ce que paient déjà les entreprises). On parle du prix de l’essence, mais le choc viendra du gaz puis de l’électricité et la sobriété, prônée par le président, deviendra alors une cruelle obligation.

9 juillet 2022
À Aix, il y a aussi le festival d’opéras qui au fil des ans est devenu un lieu emblématique de créations tant musicales que chorégraphiques. Certaines sont réussies, d’autres peuvent laisser dubitatifs. Les livrets des opéras du XVIIIe et du XIXe siècle ne se caractérisent ni par leur rigueur ni par leur vraisemblance. Il n’y a au fond rien de choquant à les adapter au contexte contemporain.

« Idoménée, roi de Crête » est le premier opéra seria du jeune Mozart. L’histoire en est suffisamment tirée par les cheveux pour que l’on puisse s’en abstraire. Le metteur en scène japonais y est allé pourtant un peu fort en essayant un parallèle entre le peuple crétois et l’armée japonaise à la veille d’Hiroshima. Les principaux personnages se trouvent figés sur des perchoirs tandis que des soldats japonais de la Seconde Guerre mondiale restent dans les bas-fonds de la scène. C’est tordu et cela ne marche pas.

« Moïse et Pharaon » de Rossini est un drame biblique doublé d’une histoire d’amour. La lecture en est beaucoup plus cohérente : les Hébreux sont des migrants qui cherchent à traverser la mer. Les Égyptiens sont des employés de multinationales en costards-cravate. Dans une dernière scène inoubliable, les cadres se noient dans les flots alors que les migrants débarquent sur une plage où bronzent d’autres privilégiés. Rossini aurait apprécié cette lecture.

8 juillet 2022
« Le pire est à craindre sur le plan énergétique à l’automne en Europe ». Celui qui fait cette déclaration aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence est l’ancien ministre polonais de l’Énergie qui présida la COP 24 de Katovice. Au moment où sur le marché européen, le gaz naturel cote € 170/180 le MWh, ce cri d’alarme est nécessaire alors que, en France on reste un peu dans le déni, refusant même de dire quelle que vérité que ce soit aux Français dans la crainte d’un sursaut de gilets jaunes.

Il est bon de prêcher la sobriété énergétique, mais force est de constater que la meilleure contrainte reste celle… du prix !

À deux euros le litre d’essence, le conducteur le plus borné devient soudain responsable et caresse de manière plus mesurée la pédale d’accélérateur. Il peut en être de même pour le chauffage ou la machine à laver. Certes, la pression est plus forte — et même disproportionnée — pour les plus modestes. C’est pourquoi l’annonce de la suppression du rabais de 18 centimes sur l’essence au 1er octobre est bienvenue. Il serait remplacé par un mécanisme d’aide directe pour les utilisations professionnelles d’un véhicule, une sorte de « chèque-carburant » plafonné en fonction des revenus. Il faudrait peut-être réfléchir à un équivalent pour le gaz et l’électricité, car la réalité du marché est là et on ne pourra longtemps la cacher aux Français.

6 juillet 2022
Clap de fin pour Boris Johnson. Le Premier ministre le plus improbable qu’ait connu le Royaume-Uni a enfin succombé. Il était né pourtant avec tous les atouts que peut offrir une des sociétés les plus inégalitaires de la planète : Eton, Oxford et la présidence de l’Union des Étudiants. En d’autres temps et comme Churchill dont il écrivit une biographie, il aurait servi quelques années dans un régiment de gala. Il fit ses armes dans le journalisme puis devint maire de Londres au titre d’un parti conservateur qu’il devait mener quelques années plus tard à un triomphe historique. Entre-temps, pour faire pièce à David Cameron, il avait fait campagne pour le Brexit, puis avait mené la fronde contre Teresa May qui essayait de trouver un accord constructif avec l’Europe.

Devenu Premier ministre, il fit tout son possible pour faire du Brexit une catastrophe économique, sociale et politique pour le Royaume-Uni et ses marges de l’Irlande du Nord à l’Écosse. Sa chance fut d’avoir en face de lui un leader du Labour à côté duquel Jean-Luc Mélenchon apparaît presque modéré. Et puis, les Britanniques étaient séduits par le bagout de cet aristocrate qui parvenait à raviver la flamme du mythe impérial.
Il lègue à son pays un chaos politique, un Brexit dans l’impasse et surtout la sensation d’un immense gâchis provoqué par l’insoutenable légèreté d’un personnage de vaudeville.

4 juillet 2022
Il y a vingt-cinq ans, l’Union Jack était amenée à Hong Kong. Xi Jin Ping a fait le déplacement (en train dans la grande tradition des dictateurs communistes) pour célébrer cet anniversaire et introniser le nouveau « podestat » en charge de la normalisation de l’ancienne colonie britannique. Pour Hong Kong, la messe « communiste » est dite et il est probable que l’économie du territoire ne s’en remettra jamais. Macao, avalée depuis longtemps, le Tibet et le Sinkiang normalisés, il ne reste plus que Taïwan, l’ultime lambeau qui résiste à l’impérialisme des Han (dont les descendants du Kuo Min Tang en déroute ont conquis Formose en 1948).

À quelques mois du Congrès du PCC qui devrait marquer symboliquement l’accession de Xi Jin Ping au « pouvoir à vie », ce déplacement marque bien l’emprise du Centre sur les périphéries et vise aussi Shanghaï qui reste un lieu de contre-pouvoir sous la forte influence de l’ancien président Jiang Zemin qui, lui, s’était plié à la règle édictée par Deng et qui n’avait occupé le pouvoir que pendant dix ans. Shanghaï a dû plier sous la contrainte de la politique du zéro Covid et cela a certainement laissé des traces dans les couloirs moins feutrés qu’on ne le pense du parti.

Hong Kong n’est plus qu’un caillou sans grande importance, un caprice de l’histoire.

1er juillet 2022
« Profiteurs de guerre », « spéculateurs », l’ensemble de l’échiquier politique, à commencer par le président de la République lui-même, a trouvé des responsables aux maux économiques français. « C’est la faute à… et il faut donc les taxer d’urgence. »
Le mot spéculateur revêt dans la mentalité française la pire des connotations péjoratives : le spéculateur est celui qui s’enrichit sur le travailleur, sur le consommateur. Il est bien pire que le rentier, il est le mal absolu condamné tant par l’Église catholique, que par l’islam et toutes les laïcités républicaines. Il est bien difficile d’expliquer que dans un monde marqué au coin de l’instabilité des marchés, il est nécessaire d’anticiper et donc de spéculer — au sens propre du mot — sur l’avenir. Fort logiquement, la seule nouvelle de l’invasion de l’Ukraine a provoqué la hausse des prix du gaz et des céréales : on pouvait en effet anticiper des problèmes sur les exportations russes de gaz et ukrainiennes de céréales. Qui en a profité ? Les producteurs avant tout et puis, c’est vrai, tous ceux qui ont accompagné le mouvement. Mais, l’expérience — et maintes études économiques — montrent que la spéculation financière n’a que peu d’influence sur les fluctuations des cours eux-mêmes.
Les spéculateurs, lorsqu’ils existent, ne sont que l’écume sur la vague. Sans la vague, il n’y a pas d’écume. 

29 juin 2022
Présentation du onzième rapport au Parlement de l’Observatoire de la Formation des Prix et des Marges des Produits alimentaires. L’année 2021 et les premiers mois de 2022 ont été marqués par de fortes tensions sur les marchés agricoles et pourtant au stade de la consommation, les prix des grandes denrées de base (lait UHT, jambon, steak haché…) sont restés presque stables. Industrie et distribution ont amorti le choc et cela explique toutes les tensions qui ont marqué – et qui marquent encore – les négociations de prix de 2022.

Malgré la hausse des prix, les revenus agricoles restent médiocres : dans la plupart des cas, le résultat courant par unité de travailleur non salarié (ce qui reste pour rémunérer l’exploitant) serait négatif s’il n’y avait pas les aides de la PAC. Et même en tenant compte des aides, les revenus autorisés, notamment pour l’élevage, se situent entre un et deux SMIC. Ce n’est là pas cher payé pour l’ensemble des contraintes environnementales qui pèsent sur le monde agricole. Bien entendu, ces moyennes ne reflètent pas la très grande hétérogénéité des 390 000 exploitations agricoles françaises recensées en 2020 (100 000 de moins en dix ans) : chaque exploitation, chaque entreprise, chaque famille a sa propre histoire.

Mais au fil de ces années à étudier prix et marges, une observation s’impose : c’est le consommateur qui reste le mieux loti ! Le problème est qu’il n’en est pas conscient.

28 juin 2022
Les sommets internationaux se suivent : après le G7 en Bavière, on retrouve presque les mêmes à Madrid pour une OTAN sortie de sa « mort cérébrale » par Vladimir Poutine. Pendant ce temps, s’est tenu de manière plus discrète et en « distanciel » un autre sommet, celui des BRICS.

On connaît le destin de cette expression forgée par un économiste de Goldman Sachs et qui, un temps, fut le symbole de la prise de pouvoir économique par les pays émergents : cette notion ne s’appliquant plus guère ni au Brésil, à la Russie ou à l’Afrique du Sud, ni même aujourd’hui à la Chine, on l’avait quelque peu oubliée. Mais la Chine en a fait un instrument politique qui, en ces temps de guerre, accentue un peu plus la fracture entre despotismes et démocraties. Ce sommet des BRICS cimente un peu plus le rapprochement entre la Chine et la Russie. La position de l’Inde, traditionnelle alliée de la Russie, mais de plus en plus en conflit avec la Chine, demeure ambiguë (Narendra Modi était d’ailleurs invité au G7 en Bavière).

En réalité, la notion de BRICS n’a à peu près aucun sens : la Russie, avant la guerre, n’était au fond qu’un « émirat » exploitant ses ressources naturelles ; Brésil et Afrique du Sud peinaient à décoller. Il reste la Chine et l’Inde en conflit presque ouvert. Mais au long de ses nouvelles « routes de la soie », la Chine, imperturbable, pousse ses pions. Le monde se fracture. L’espace-monde, l’expression chère à Fernand Braudel, se craquelle.

27 juin 2022
Longtemps la démocratie américaine fut un admirable exemple d’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Au sommet, la Cour Suprême était le garant ultime de cet équilibre. Certes, à certains moments, elle pouvait avoir un rôle politique : les grandes lois du New Deal de Roosevelt furent ainsi censurées par une Cour dominée dans les années trente par les républicains. Mais depuis un bon demi-siècle, l’alternance politique avait garanti un certain équilibre au sein de la Cour entre progressistes et conservateurs. Malheureusement, Donald Trump, qui a eu la main sur la nomination de trois juges (sur neuf), a détruit cet équilibre et la majorité de la Cour Suprême est désormais clairement conservatrice, proche de la droite religieuse du Sud profond. C’est ce qui explique la décision de revenir sur le célèbre cas Roe vs Wade de 1973 qui avait – de facto – légalisé l’avortement aux États-Unis. Désormais, les différents États ont le droit d’interdire le recours à l’avortement et une vingtaine d’entre eux ne s’en sont pas privés. En revenant ainsi sur la chose jugée il y a presque cinquante ans, la Cour Suprême devient un acteur politique comme un autre et c’est toute sa crédibilité qui se trouve ainsi remise en cause. L’admirable « démocratie en Amérique » chère à Tocqueville s’en trouve fragilisée au pire des moments pour le reste du monde.

26 juin 2022
Quelques mois seulement après la fermeture des réacteurs nucléaires de Fessenhein, la centrale thermique à charbon de Saint-Avold va être remise en activité. Fermer Fessenheim, rouvrir SaintAvold, on atteint là l’absurdité absolue de l’idéologisation de la transition énergétique.

Il est clair qu’à l’automne, la disponibilité du gaz naturel, dans l’hypothèse d’une forte réduction des flux en provenance de Russie (voire de leur arrêt complet) risque de devenir problématique. Même si l’Europe parvenait à importer le GNL nécessaire et à le regazéifier, on buterait encore sur le goulot d’étranglement d’un réseau peu adapté. Des régions entières pourraient être contraintes à limiter et à rationner leurs consommations. À court terme, l’alternative au gaz reste le charbon. C’est le virage qu’ont pris les Allemands (avec des Verts dans la coalition gouvernementale…) en utilisant même la catastrophe environnementale qu’est le lignite. Les Pays-Bas ont aussi décidé de rouvrir leurs centrales à charbon et voilà donc maintenant la France. Certes, en France cela restera marginal, mais le symbole est là alors que la filière nucléaire souffre de sous-investissement, qu’en Allemagne, aux Pays-Bas on persiste à fermer des centrales nucléaires.
À force de vouloir du vert intégral, on finit avec du noir… de charbon !

25 juin 2022
Le Pic d’Aneto, au cœur du massif de la Maladeta qui domine le Val d’Aran entre la Catalogne et l’Aragon, est le plus haut sommet des Pyrénées à 3 404 mètres. C’était là le cadeau – avec quelque retard – des 70 ans de l’auteur de ces lignes qui l’a gravi avec ses trois filles.

En cette saison, malgré la canicule récente, la neige est bien présente à partir de 2 800 mètres d’altitude. La progression sur les névés est plus facile et permet d’éviter les derniers lambeaux du glacier (là aussi, le réchauffement climatique a fait son œuvre). Près du sommet, un peu d’escalade facile permet de passer le « Pas de Mahomet » avant que de retrouver une vaste croix et une statue de la Vierge, comme sur toutes les montagnes espagnoles (en France, la laïcité s’applique aussi à la montagne !).

La montée est rude, mais la descente encore plus longue qui, sur près de 2 000 mètres de dénivelé, se fait sentir sur les muscles et les cuisses et fait presque oublier la beauté des rhododendrons en fleurs et le rire des cascades. Au fond de la vallée de Benasque, toutes ces eaux disparaissent dans le célèbre « Trou du Toro » pour réapparaître sur le versant nord des Pyrénées et former la Garonne.
Ce fut le plus merveilleux des cadeaux !

24 juin 2022
Comme on pouvait s’y attendre, les 27, réunis en sommet européen, ont accordé à l’Ukraine et à la Moldavie le statut officiel de candidats à l’UE. Ils ont par contre laissé de côté la Géorgie et surtout les quatre petits pays des Balkans qui frappent pourtant depuis longtemps à la porte européenne.

L’UE a fait là bien sûr, un geste politique et elle ne pouvait agir autrement. L’idée de « Communauté politique européenne » avancée par Emmanuel Macron peut être séduisante pour récupérer le Royaume-Uni, mais elle était insuffisante en tant que message de soutien inconditionnel à l’Ukraine.

Cela dit, le chemin sera long et difficile. Il faut quand même admettre que l’Ukraine et ses dirigeants de tous bords ont gâché leurs trois décennies d’indépendance. Si le sursaut actuel face à la Russie est admirable, il ne peut cacher les carences de gouvernance dont souffre un pays dont le PIB per capitaest le tiers de celui du plus pauvre des pays de l’UE, la Bulgarie.

Et puis dans l’état actuel des institutions européennes, un élargissement de cette ampleur n’est-il pas quelque peu suicidaire. La dilution de l’Europe s’en trouvera accélérée.
Il n’y avait probablement pas d’autres solutions que de donner à l’Ukraine ce statut de candidat. Mais d’un côté comme de l’autre, c’est un pari bien risqué.

21 juin 2022
Pendant la guerre, alors que le monde se prépare à la stagflation, que les prix de l’énergie explosent, on danse à Bâle. Art Basel, la plus grande foire d’art contemporain au monde ouvre ses portes et, dès les premiers jours réservés aux « happy few », tous les records sont battus : une araignée de Louise Bourgeois aurait été vendue $ 38 millions par la galerie Hauser und Wirth ; Zwirner aurait placé une œuvre de Felix Gonzales Torres pour $ 12,5 millions et Pace aurait vendu une réalisation de Joan Mitchell pour $ 16,5 millions. Ces trois galeries, auxquelles il faut bien sûr ajouter Gagosian et le français Perrotin, forment une sorte d’oligopole sur le marché mondial de l’art contemporain. À la différence des ventes aux enchères dominées par le duopole Christie’s et Sotheby’s, les transactions, de gré à gré (OTC dirait-on sur les marchés financiers) au fil des « foires » de Bâle à Miami ou Hong Kong, demeurent confidentielles.

Des quelques chiffres évoqués plus haut, de l’engouement suscité par Art Basel et bientôt par la TEFAF de Maastricht, des chiffres officiels des ventes de New York en mai, il ressort que le marché de l’art nage en pleine euphorie : la crise a creusé les inégalités et les nouvelles grandes fortunes utilisent comme toujours l’art comme un tremplin social. Mais certaines bulles n’ont qu’un temps ! 

19 juin 2022
Après avoir réélu, pour la première fois depuis le général de Gaulle, un président sortant hors période de cohabitation (et donc alternance), les Français – ou du moins la moitié d’entre eux – ont refusé à Emmanuel Macron la majorité absolue qu’il souhaitait conserver.

« Une gifle », « un séisme », maints commentateurs en ont fait un échec d’autant plus personnel que certains de ses plus proches collaborateurs ont trébuché et que le président n’avait guère mouillé la chemise dans une campagne qu’il devait estimer gagnée d’avance. En réalité, le grand œuvre de destruction de la droite française s’est poursuivi : LR a sauvé quelques membres, mais les dissensions risquent de reprendre de plus belle avec la disparition du noyau chiraquien historique et surtout la réussite d’un RN, normalisé et dédiabolisé, plus que jamais capable d’attirer l’aile droite des LR. Car le paradoxe, c’est bien le « triomphe » de Marine Le Pen qui prend sa revanche et va se trouver à la tête du premier parti d’opposition au Parlement.

À gauche, il faut saluer la pugnacité de Jean-Luc Mélenchon qui avec sa coalition improbable a contribué aussi à sauver la face du PS et des Verts. Mais au fond, ce score tout à fait respectable – qui a fondu un peu au fil de la soirée – a remis la gauche à ce que fut sa place ces dernières décennies avec des hauts et des bas dans sa composition : effondrement du communisme, hégémonie du PS…

Plus difficile à gouverner (mais pas impossible), cette chambre va enfin redonner quelque lustre à la vie parlementaire.

17 juin 2022
La visite du trio de dirigeants européens à Kiev, l’annonce du principe de la candidature de l’Ukraine à l’UE, les engagements de fournitures d’armes lourdes, tout cela ne pouvait laisser indifférent le Kremlin qui a dégainé son arme la plus efficace vis-à-vis des Européens, celle du gaz.

Prétextant un problème technique qui serait lié aux retards pris par Siemens pour livrer du matériel, le débit de Nordstream I a été réduit de 40 % par Gazprom. Les livraisons de gaz russe se sont arrêtées en France et en Slovaquie, ont diminué de moitié en Autriche et l’Italie est sur le point de se déclarer en situation d’alerte énergétique. Sur le marché européen (TTF), les prix sont montés jusqu’à € 130 le MWh, une hausse de près de € 50.

Il est vrai que jusque-là, tout allait presque trop bien sur le front gazier. Malgré la guerre, Gazprom tenait les engagements – au moins de ses contrats. Le gaz arrivait y compris via l’Ukraine ! Gazprom ne pouvait pourtant ignorer que ce gaz était utilisé pour reconstituer les stocks en préparation de l’hiver prochain : avec un objectif de remplissage des capacités de 80 % en septembre, le processus se passait plutôt bien et on était déjà à 50 % (à 56 % en France). Gazprom – et donc la Russie – viennent de siffler la fin de la partie et surtout de rappeler que cette année au moins, nombre de pays européens ne pourront se passer du gaz russe et que tous seront affectés par la flambée des prix sur le marché. N’oublions pas que le gaz est moins important en termes de devises pour la Russie que le pétrole et que l’Europe a là sa dépendance majeure. Dont acte.

14 juin 2022
À Genève se tient dans l’indifférence générale la douzième conférence plénière de l’OMC, l’Organisation mondiale du Commerce. Créée en 1995 par les accords de Marrakech qui mirent un terme aux négociations de l’Uruguay Round, l’OMC était au fond la référence mondiale de cette mondialisation des échanges qui a marqué les trente dernières années. Les réunions de l’OMC faisaient d’ailleurs souvent l’objet de contestations violentes, militants altermondialistes et ONG organisant des contre-manifestations. C’est à Doha en 2001, quelques semaines après « 9/11 », que fut lancé un nouveau cycle (le Doha Development Round) et que surtout la Chine fit son entrée à l’OMC, qui compte aujourd’hui 164 membres.

Pas de manifestation à Genève cette fois-ci, à peine quelques embouteillages : l’ambiance devait en fait rappeler celle de la Société des Nations à Genève dans les années trente. En réalité, l’OMC était déjà paralysée avant la crise et ce sont les États-Unis de Donald Trump qui l’avaient « torpillée » en refusant leur approbation au renouvellement des juges siégeant à l’Organisme de Résolution des Différends (ORD). Remarquons que Joe Biden n’a en ce domaine pas modifié l’approche de son prédécesseur. L’OMC est depuis une coquille vide dont le principal sujet de discussion cette semaine sera de parvenir à un accord sur les subventions à la pêche maritime. Mais du fonctionnement de l’OMC, du cycle de Doha, de la montée des barrières qui entravent de plus en plus le commerce international, il ne sera pas question… L’OMC est ailleurs !

12 juin 2022
Premier tour des élections législatives en France. La réforme constitutionnelle créant le quinquennat présidentiel a contribué à limiter le pouvoir législatif et à faire de l’Assemblée nationale une chambre d’enregistrement représentant de moins en moins la réalité du corps électoral français. Quel sens donner en effet à cette élection qui intervient deux mois après la présidentielle ? Le système majoritaire à deux tours, sans une once de proportionnelle, va donner probablement une majorité à un parti présidentiel qui représente à peine plus du quart des intentions de vote au premier tour. Certes, cela garantit la « gouvernabilité » de la France, mais c’est aussi dans une certaine mesure un déni de démocratie accentué par la débâcle des deux grands partis historiques qui font pourtant les plus gros bataillons des élus locaux.

Au final, moins d’un Français sur deux s’est déplacé pour voter, l’indifférence la plus grande venant des « territoires perdus de la République ». La coalition hétéroclite réunie par Jean-Luc Mélenchon fait jeu égal avec le parti présidentiel et ses alliés, probablement plus dans un réflexe de protestation que de conviction tant le programme avancé par la NUPES reste flou sur des sujets essentiels comme l’énergie et l’Europe. Malgré l’acquit présidentiel, Ensemble apparaît en net recul alors que l’extrême droite (à l’exception d’Éric Zemmour) et surtout la droite « classique » font mieux qu’anticipé. Au final, la majorité présidentielle devra probablement chercher quelques appuis. Le Parlement retrouverait là quelque importance.

11 juin 2022
À nouveau, on parle des exportations céréalières de l’Ukraine et par un raccourci excessif, on en fait la cause majeure du problème alimentaire mondial. C’est là bien exagéré et il est nécessaire de clarifier les choses.

L’Ukraine est effectivement le deuxième exportateur mondial de céréales : elle aurait dû exporter en 2021/2022 (année de campagne commençant le 1er juillet) 62,7 millions de tonnes (mt) sur une production exceptionnelle cette année-là de 84,8 mt (d’habitude la production était de l’ordre de 70 mt). Mais ces exportations se répartissent entre le blé (18 à 20 mt habituellement) et le maïs (30 mt) ainsi que l’orge (10 mt). Normalement, l’Ukraine a une capacité d’exportation de 6 mt par les ports de la mer Noire. Au moment de l’invasion russe, l’Ukraine avait presque terminé sa campagne d’exportation de blé : 24 mt déjà autant que toute la campagne précédente ; il restait alors 5 à 6 mt de blé à exporter, presque un surplus pour un marché mondial qui avait flambé en 2021 sous le choc des achats de la Chine. Récolté à l’automne, le maïs était plus en retard et il en restait encore au moins 15 mt dans les silos ukrainiens. Destiné à l’alimentation animale, ce maïs était surtout importé par la Chine et en Europe par l’Espagne.

Dans un premier temps, la guerre a paralysé toute la mer Noire, y compris les exportations russes (pour l’essentiel du blé à hauteur de 30 mt en général). En quelques jours, les prix aux adjudications de pays importateurs comme l’Algérie ont augmenté de $ 150 la tonne. Cependant, la reprise presque normale des exportations russes (et la perspective d’une excellente récolte en 2022) a ramené cette hausse à $ 100 soit à peu près 25 % à 30 %.

Pendant ce temps, l’Ukraine privée de son débouché maritime a cherché de nouveaux corridors ferrés et routiers pour l’essentiel vers le Danube et les ports roumains. 300 000 tonnes ont pu sortir en mars, un million de tonnes en avril, 800 000 tonnes en mai. On est loin des volumes antérieurs, et ce, d’autant plus qu’une partie de ces tonnages correspond à des graines de tournesol, beaucoup mieux valorisées.

Il y a donc 20 mt de céréales dans les silos ukrainien, aux trois quart du maïs. Bientôt va arriver la récolte de blé qui devrait être de l’ordre de 25 mt si l’on tient compte de l’impact de la guerre. Et puis à l’automne, il y aura le maïs : les capacités de stockage ukrainiennes seront alors saturées.
Voici la situation : nombre d’analystes et de commentateurs, peu au fait de ces subtilités confondent céréales et blé, alimentation humaine et animale.
La réalité est que pour l’instant le quasi-blocage de l’Ukraine n’a pas d’impact direct sur la situation alimentaire si ce n’est par le biais de la hausse des prix. Le blé ukrainien était déjà exporté et il ne restait que quelques millions de tonnes. Pour l’essentiel, ce sont du maïs et de l’orge à exporter pour… l’alimentation animale !
Que la situation alimentaire soit tendue est une évidence. La FAO estime à plus de 250 millions le nombre de personnes en situation de grave insécurité alimentaire : mais celle-ci est en général la conséquence de chaos politiques et de guerres civiles : dans ce palmarès, relevons la République démocratique du Congo (26 millions), le Nigeria (20), le Yémen (19), l’Afghanistan (19), l’Éthiopie (17) qui souffre d’une sécheresse dramatique, la Syrie (12)… La hausse des prix mondiaux n’arrange rien, mais l’essentiel n’est pas là. L’appétit chinois a eu plus d’influence sur le marché du blé que le drame ukrainien.

La dramatisation de la situation par les dirigeants des Nations unies, l’insistance sur le lien entre blé ukrainien et sécurité alimentaire mondiale ont de quoi surprendre. Il n’y a en tout cas aucune raison de supplier Moscou et de donner à Poutine une arme du blé. Il faut au contraire aider l’Ukraine à organiser ses exportations par le Danube ou la Baltique. Mais céder à la Russie et s’engager dans d’hypothétiques couloirs maritimes (avec en plus un partenaire aussi « fiable » que la Turquie) serait une erreur. Malheureusement, si les céréales sont importantes pour l’Ukraine, l’Ukraine est – pour l’instant en tout cas – peu importante pour le blé.

8 juin 2022
Publication du trente-sixième rapport CyclOpe : le premier – qui ne portait pas le nom de CyclOpe – remonte même à 1985, au temps lointain du premier contre-choc pétrolier.
Cette année, nous avons emprunté le sous-titre « littéraire » de CyclOpe à Stefan Zweig, au titre de son dernier livre, écrit au Brésil quelques mois avant son suicide. Dans « Le monde d’hier », il racontait ce monde qu’il avait connu de l’Europe d’avant 1914 et de l’empire austro-hongrois, des années folles aussi avant la montée du nazisme.

L’analyse que nous soutenons dans CyclOpe est que la pandémie et la guerre marquent pour le monde une rupture majeure comparable à celles que le monde avait connues dans les années trente et soixante-dix. La crise dite de « 1974 » avait en effet mis un terme aux « Trente Glorieuses » et provoqué un renversement des politiques économiques et une sorte d’apogée du libéralisme. À partir de 1990, le monde avait connu d’autres « Trente glorieuses », celles de la mondialisation heureuse et du rêve de la fin de l’histoire. La page est en train de se tourner sur ce « monde d’hier ». Comme dans les années soixante-dix, cela se fait dans le fracas des marchés et de crises tant logistiques, qu’énergétiques, agricoles ou industrielles. Ce sont toutes ces tensions dont CylcOpe tient la chronique, comme à l’habitude de l’acier au zirconium, sans oublier l’art ni le sport !

7 juin 2022
En cette dernière semaine d’une bien fade campagne électorale pour les législatives, les débats tournent autour de la question du pouvoir d’achat alors que les prix de l’essence à la pompe s’installent au-dessus de € 2 le litre et que les hausses de prix alimentaires marquent les esprits.
Dans la zone euro, l’inflation était de 8,1 % en mai ; en France, elle reste plus mesurée à 5,2 %, mais, on le sait, ce qui compte c’est le ressenti de l’inflation, ce sont les hausses de prix d’objets quotidiens et l’alimentation joue là un rôle essentiel même si sa part du budget des ménages reste faible (15 % si on ne tient pas compte de la RHF).
La réponse « électorale » à ce problème est d’une désolante banalité : des chèques pour l’alimentation, pour les plus pauvres… Déjà, il y a le blocage des prix du gaz et de l’électricité pour les ménages, les 18 centimes le litre de cadeau à la pompe, engloutis comme on pouvait s’y attendre dans le tonneau des Danaïdes du marché pétrolier ; il y aurait donc à la rentrée des chèques : ceux-ci pourront du moins être ciblés, mais il s’agit là de cautères sur des jambes de bois. Faire l’aumône n’est pas de bonne politique et la décence aurait voulu que l’on s’abstienne de ce genre de geste à quelques jours d’élections dont le parti majoritaire pourrait sortir « un peu » affaibli. La question du pouvoir d’achat est réelle, mais elle mérite mieux que des bricolages démagogiques.

5 juin 2022
Les chrétiens fêtent aujourd’hui la Pentecôte. Pour les catholiques, la première lecture est le récit de la Pentecôte, tiré des Actes des apôtres (2,1-11). Il y a dans ce texte une fascinante énumération de tous les peuples du Proche-Orient : « Parthes, Mèdes et Elamites… habitants de l’Égypte et des contrées de Libye… Romains… Crétois et Arabes… ». Bien sûr, il s’agit de juifs déjà dispersés dans une première diaspora qui remonte en fait aux exils des siècles précédents. Mais en réalité sous la domination romaine, en partie au moins, cette turbulente région connaissait une extraordinaire circulation des hommes que l’on retrouvera d’ailleurs plus tard dans les voyages de Saint-Paul.
Qu’en est-il aujourd’hui ? La région – le Proche-Orient – est morcelée de frontières qui séparent les peuples eux-mêmes ; les despotismes y sont la règle nourrissant aussi conflits et guerres civiles. Jérusalem, plus que jamais la cité sainte des religions du Livre est presque un camp retranché. Ailleurs, les « habitants de la Mésopotamie… de la Cappadoce… de la Phrygie et de la Pamphylie » souffrent dans le chaos des états et l’intolérance politique et religieuse.

Au temps de la Pentecôte, Rome assurait quelque stabilité et on se souvient que Pilate ne voulait surtout pas se mêler de querelles locales. Aujourd’hui, la région est la proie de tous les impérialismes, perses et ottomans, russes et américains. Le miracle de la Pentecôte, celui de se comprendre dans toutes les langues est bien oublié !

4 juin 2022
Il y a cinquante ans, à l’époque des grandes contestations, le scoutisme catholique français vécut une époque de schisme. La pédagogie scoute, imaginée par Baden Powell, fut alors profondément remaniée. Certains refusèrent cette évolution et voulurent conserver l’unité de la patrouille ou de l’équipe composée de jeunes de 12 à 16 ans sous l’autorité du « CP » ou de la « CE ». Ce fut la naissance des Scouts Unitaires de France, les SUF, l’une des trois branches du scoutisme catholique en France avec les Scouts de France et les Scouts d’Europe (à la différence du monde anglo-saxon, le scoutisme s’est développé en France sur des bases confessionnelles, mais protestants, juifs et musulmans ont su rester unis…). À Chambord aujourd’hui, 30 000 SUF se réunissaient pour célébrer cet anniversaire. Un orage providentiel, qui a même amené louveteaux et jeannettes, à se réfugier dans le château, les a placés sous les feux de l’actualité et des télévisions. D’un mal ce fut un bien tant cela a été l’occasion de redécouvrir un scoutisme dynamique et joyeux bien loin de l’image trop souvent véhiculée d’une sorte de traditionalisme bourgeois. Baden Powell a « inventé » le scoutisme pour les enfants des classes moyennes et populaires de l’époque. Les règles de la vie du groupe, le rapport à la nature restent étonnamment modernes. Le scoutisme est une école de la vie et de la responsabilité et ceux qui en ont fait tout le parcours, des louveteaux et jeannettes aux chefs, en restent marqués, mais aussi formés, tant la loi scoute, c’est aussi la loi de la vie. De quelque obédience, de quelque spiritualité que ce soit, le scoutisme reste une merveilleuse aventure, même sous la grêle à Chambord !

3 juin 2022
Le Royaume-Uni fête le jubilé de la reine Élisabeth II : 70 ans de règne ! Louis XIV avait fait mieux, mais il avait commencé à cinq ans. Francophone – et un peu francophile –, Élisabeth II a commencé son règne alors que Vincent Auriol présidait la France : elle aura donc connu dix présidents français. C’est que les Français restent fascinés par la monarchie britannique. Au-delà même des péripéties qu’ont traversées les Windsor ces vingt dernières années, on ne peut nier l’attrait que les Français ressentent pour cette monarchie qui a su conserver sa pompe et ses rites. La France est d’ailleurs au fond un pays d’essence monarchique. Rappelons qu’il aurait suffi de la volonté d’un homme – l’intéressé lui-même – pour que le Comte de Chambord monte sur le trône et devienne Henri V. La monarchie aurait alors duré au moins un demi-siècle. La débâcle de 1940 aurait-elle été emportée ? Rien n’est moins sûr : Charles de Gaulle n’était-il pas lui-même royaliste ? Ce n’est pas pousser l’uchronie bien loin que d’imaginer le règne actuel en France de Charles XI, Henri VI ou Philippe VII. Les Français s’en seraient accommodés et plus encore tant ils réclament de la part de leurs présidents un comportement « royal » ou « jupitérien ». Au temps du général de Gaulle, le Canard Enchaîné publiait d’excellentes chroniques de la Cour. Patrick Rambaud en a pris la suite pour les règnes de Nicolas et maintenant d’Emmanuel. Les Français élisent un monarque doté d’infiniment plus de pouvoirs que cette délicieuse reine dont les Britanniques célèbrent le jubilé et ces républicains-là sont au fond de vrais royalistes !

1er juin 2022
Les nouvelles en provenance de la Chine sont de plus en plus médiocres. Le Premier ministre Li Keqiang a lui-même admis la gravité de la situation : les ventes de détail en avril ont reculé de 11 %, la production industrielle de 3 % et le chômage des 16/24 ans dépasse 18 %. La Chine est probablement aujourd’hui en négatif. Tout ceci est lié en grande partie à la politique zéro Covid et à son cortège de confinements. Cette politique de « zéro Covid » est directement le fait de Xi Jinping et elle échappe à toute logique ou rationalité. Bien sûr, on peut imaginer que la première vague du Covid, celle qui est sortie de Wuhan, a été beaucoup plus virulente que ce que le nombre « officiel » de morts ne laisse imaginer. Mais le confinement récent de Shanghai, puis de quartiers de Pékin, semble démesuré par rapport à la menace réelle que représente aujourd’hui le Covid. On peut toutefois avancer une hypothèse fondée sur le comportement des despotes face aux questions médicales. Dans leur isolement ceux-ci développent souvent une véritable paranoïa médicale. Hitler et Staline furent en la matière des cas d’école. Poutine, confronté au Covid, s’entoure de précautions proches du ridicule. N’en serait-il pas de même pour Xi qui projetterait ses propres angoisses sur l’ensemble de la société chinoise ? Il ne s’agit là que d’une idée quelque peu exagérée. Mais comment expliquer la rationalité d’une politique qui paralyse des régions entières alors que les niveaux de contamination en Chine sont bien inférieurs à ceux de la plupart des pays occidentaux, si l’on ne cherche pas un peu dans l’irrationalité des despotes.

30 mai 2022
Les Européens se réunissent à Bruxelles pour essayer de trouver un accord sur un sixième paquet de sanctions à l’encontre de la Russie. Sur le plan financier, l’extension de l’exclusion de SWIFT à la Sberbank paraît acquise tout comme l’adjonction de quelques noms (dont celui du patriarche Kyril) à la liste des « reprouvés ». Mais le vrai problème est celui de l’embargo sur le pétrole russe. La solution trouvée est exemplaire d’une certaine hypocrisie européenne. En effet, les importations de pétrole par oléoduc seraient autorisées sans qu’une échéance précise soit fixée. On vise là bien sûr les flux provenant de l’oléoduc Drujba qui, depuis l’époque soviétique, approvisionne l’Europe de l’Est et notamment la Hongrie et qui représente à peu près un tiers des achats européens de pétrole russe. Viktor Orban était vent debout contre cet embargo et pour obtenir l’unanimité, il a fallu accepter cette dérogation. La Hongrie et quelques autres vont pouvoir continuer à importer du pétrole russe (et au passage à le payer entre $ 30 et $ 40 le baril de moins que le Brent). Mais l’essentiel est que l’Europe sauve la face et quand même deux tiers de ses importations de pétrole russe sont concernés : plus un tanker ! La Russie aura du mal à sortir son pétrole et cela devrait peser sur ses exportations (2 à 3 mbj ?) et aussi sur le cours du baril d’autres origines. Malgré l’ambiguïté hongroise, le message européen est clair. Vladimir Poutine saura-t-il le comprendre ? Rien n’est moins sûr.

29 mai 2022
« Panne e Missili », tel est ce matin le titre d’un quotidien dominical italien (en référence au célèbre film de Franco Brusati, en 1974, Panne e Cioccolato). Du pain et des missiles, voilà qui résume bien la situation diplomatique autour de l’Ukraine. D’un côté, les pays occidentaux qui s’inquiètent de la situation alimentaire et des risques que représenterait l’absence d’exportations ukrainiennes pour la campagne 2022/2023 (pour l’instant, c’est surtout du maïs qui se trouve bloqué, mais les moissons vont bientôt commencer). De l’autre, Vladimir Poutine s’inquiète de la livraison d’armes à l’Ukraine, des armes qui, bien utilisées, ont permis à l’armée ukrainienne d’infliger quelques revers aux Russes. Allemands et Français demandent le libre accès aux ports ukrainiens, au moins ceux qui sont encore libres autour d’Odessa. Les Britanniques ont même proposé des escortes navales. Trop heureux d’être ainsi courtisé, Poutine n’a pas fermé la porte et il met à mal la solidarité européenne, la Pologne, les pays baltes et bien sûr l’Ukraine étant opposés à tout accommodement. Il n’est d’ailleurs pas certain que Poutine songe vraiment à utiliser l’arme du blé : ses principaux clients comme l’Égypte, l’Algérie, l’Afrique subsaharienne et bien sûr la Chine, n’ont pas condamné l’invasion de l’Ukraine. Pourrait-il lâcher du lest pour des raisons humanitaires ? C’est peu probable tant, comme la plupart des dictateurs, de Staline à Mao, il a un mépris total pour les vies humaines.

27 mai 2022
L’Italie vient de dérouler le tapis rouge pour la visite d’État du président algérien. Deux jets de l’armée italienne ont même escorté l’avion présidentiel algérien avant son atterrissage à Rome. C’est la première sortie d’Etat du président Tebboune et Alger n’est pas mécontent d’envoyer au passage un petit bras d’honneur à Paris. L’Italie s’intéresse à l’Algérie pour son gaz naturel. Avec l’Allemagne, l’Italie est le pays d’Europe occidentale le plus dépendant du gaz russe et ses capacités de regazéification de GNL sont pour l’instant très limitées. Par contre, l’Italie a l’avantage de pouvoir profiter de quelques gazoducs traversant la Méditerranée au plus étroit. L’un provenant de Libye n’est guère utilisé étant donné le chaos libyen. Mais il y en a un venant d’Algérie et sa capacité peut en être augmentée. Un autre gazoduc, passant par la Turquie et la Grèce provient d’Asie centrale, mais on retombe là dans « l’empire russe ». Enfin, il y a un projet de tuyau qui permettrait d’exporter du gaz des gisements au large d’Israël et de l’Égypte. Mais pour l’instant, c’est le gaz algérien qui intéresse l’Italie. Il faut certes le produire et la Sonatrach a pris du retard dans le développement de sa production (sans parler du potentiel du gaz de schiste). Un accord vient d’être signé avec la compagnie italienne ENI. Alger y trouve son compte. Ses relations sont mauvaises avec l’Espagne qui s’est rapprochée de l’ennemi marocain et avec la France dont le président se permet des remarques déplaisantes sur la « démocratie » algérienne. À Rome, au moins on sait fermer les yeux !

26 mai 2022
Bari fut longtemps une cité byzantine, siège du gouverneur de la province d’Italie que les Byzantins tinrent jusqu’au Xe siècle avant que d’en être chassés par des mercenaires normands. Au XIe siècle des marins et quelques prêtres allèrent en Asie Mineure dérober les reliques de Saint-Nicolas pour lequel on construisit une basilique, chef-d’œuvre du style roman apulien. Depuis le culte de Saint-Nicolas, patron de Bari, a prospéré tant chez les catholiques que chez les orthodoxes au point que dans la basilique de Bari soient encore célébrés des offices orthodoxes. Ceci serait au fond le signe d’un œcuménisme bien vécu. Devant la basilique se trouve une statue en bronze de Saint-Nicolas. Celle-ci a été offerte par la Russie et une plaque en italien et en russe est signée… Vladimir Poutine. On a là un exemple de la stratégie, menée dès l’origine par Poutine, de récupération de l’héritage orthodoxe de la Russie en s’appuyant sur un patriarcat de Moscou particulièrement complaisant. On en a vu la suite avec l’alignement du patriarche Kyril sur la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine dans une sorte de guerre sainte. À Bari, Vladimir Poutine agissait comme l’héritier du « basileus » de Constantinople, suzerain de terres qui avaient été siennes un millénaire auparavant. Alors que dire de l’Ukraine.

25 mai 2022
C’était il y a soixante-quinze ans. À l’occasion de la remise des diplômes de l’université d’Harvard, le secrétaire d’État, le général George-C. Marshall (l’homme qui avait organisé l’économie de guerre américaine) proposa l’aide américaine à une Europe meurtrie qui peinait à panser ses plaies. Ce fut le Plan Marshall dont le rôle a été essentiel dans l’amorçage de ce que furent les « Trente Glorieuses ». Le Plan 3 Marshall joua un autre rôle : refusé par les pays sous la coupe de l’URSS (et contesté à l’époque par les partis communistes occidentaux aux ordres de Moscou), il contribua certes à la fracture de l’Europe, mais il obligea aussi les Européens de l’Ouest à s’organiser. Ce fut la création de l’OCSE, l’ancêtre de l’OCDE, mais surtout le terreau dont, malgré le refus britannique, sortit quinze ans plus tard à Rome, la CEE. Et puis, au grand dam des Français à l’époque, le Plan Marshall intégra l’Allemagne vaincue parmi ses bénéficiaires. Les États-Unis ne retombèrent pas dans l’erreur du Traité de Versailles qui avait mis sur les vaincus le poids des réparations au risque – bien réel – de semer le chaos en Allemagne. L’Allemagne ne paya pas ou si peu ! Keynes à l’époque l’avait bien anticipé et proposait au contraire d’aider l’Allemagne à se relever. Vingt-sept ans plus tard, c’est bien ce que firent les États-Unis et l’Europe peut leur en être reconnaissante. Célébrer cet anniversaire au moment même où le canon gronde dans ces plaines ukrainiennes où l’on se battait il y a quatre-vingts ans est aussi une leçon pour l’avenir. Au lendemain de cette guerre, il faudra là aussi un plan Marshall !

24 mai 2022
Trois mois déjà de guerre en Ukraine. Vladimir Poutine l’avait imaginée « courte et joyeuse » avec la chute de Kiev et l’installation d’un gouvernement prorusse. Beaucoup d’experts estimaient inéluctable la défaite ukrainienne. Rien ne s’est passé comme anticipé. L’armée russe s’est révélée inefficace, mal encadrée, capable de bombarder certes à l’aveuglette, mais pénalisée par une logistique insuffisante et des erreurs manifestes de stratégie. Après les échecs sur Kiev et Kharkiv, il a fallu se contenter d’une tactique de la terre brûlée le long du littoral de la mer d’Azov. En face, l’armée ukrainienne, renforcée par l’armement occidental, s’est resaisie et a su adopter une défense légère et classique qui a contribué à épuiser les troupes russes. Le bilan de ces trois mois, ce sont quelque 30 000 morts militaires sans compter les civils, les blessés et les déplacés. Ce sont des villes entières détruites, des terres stérilisées. Le drame est que ces trois mois ont été aussi marqués par l’échec de tous les efforts de médiation. Vladimir Poutine ne peut se satisfaire de ce qui est en réalité un échec qui épuise la Russie et les Ukrainiens – fort logiquement – ne peuvent accepter d’abandonner une partie de leur territoire. L’OTAN d’un côté, la Chine de l’autre se limitent officiellement à une non-ingérence plus dangereuse que jamais. Mais le peuple ukrainien souffre.

22 mai 2022
« The coming food catastrophe », tel est le titre en une de « The Economist » cette semaine. La crise alimentaire prend des proportions tant médiatiques que politiques que nul n’eut anticipé il y a encore quelques semaines. Il est vrai que la situation climatique s’aggrave, en particulier pour le blé, aux États-Unis, en Chine et en Europe. Tous les regards se tournent vers les tonnages bloqués en Ukraine alors que la prochaine récolte – certes plus faible du fait de la guerre – risque de ne pas trouver de place dans des silos déjà encombrés. En réalité, il y a en Ukraine beaucoup plus de maïs que de blé disponible dans la mesure où, au début de la guerre, la campagne d’exportation de blé était déjà bien entamée avec des volumes record. Quoi qu’il en soit, les céréales ukrainiennes manquent cruellement. Les ports de la mer Noire, à l’image d’Odessa, étant bloqués, quelques sorties s’organisent, vaille que vaille, par le Danube ou la Pologne. Mais les jauges ferroviaires étant différentes, tout ceci est compliqué et coûteux. L’idée commence à circuler de convois maritimes protégés par des navires de l’OTAN. Mais cela sera bien difficile à mettre en place et il faudrait l’accord au moins tacite de la Russie. La Russie justement se prépare à une moisson record et sera un élément clef des mois à venir. 2 Et puis, il y a l’épée de Damoclès de l’énergie et des engrais. Malgré les hausses de prix, les coûts de production vont s’envoler en 2023 et l’incitation à produire s’en trouvera réduite. Une catastrophe, pas encore, mais bientôt peut-être.

20 mai 2022
Il y a des jours qui marquent la vie d’un homme. Ce fut les cas ce soir pour l’auteur de ces lignes dont les élèves et les anciens élèves célébraient le départ de la direction du Master Affaires internationales, le « 212 » de Dauphine. Atypique, ce master (autrefois DESS) se veut généraliste : il accueille des étudiants venant certes de Dauphine, mais aussi des juristes, des ingénieurs, des littéraires… leur point commun est au fond la devise du master : « Le monde est notre jardin » et effectivement un bon tiers des quelques 1 500 anciens travaille à l’étranger. La diversité culturelle et géographique a toujours été une caractéristique d’un recrutement qui privilégie, certes l’excellence académique, mais aussi l’originalité des parcours et des motivations. Ce soir, deux cents anciens étaient là pour en témoigner. Le 212 se veut avant tout une expérience de groupe, un « melting pot » auquel chacun apporte sa richesse. Avec les modestes moyens de l’université, fonctionnant dans une quasi-gratuité et face à la concurrence des formations de grandes écoles beaucoup plus onéreuses, il montre aussi que, en France, les universités peuvent offrir le meilleur de l’enseignement supérieur. Mais, cela dit, quel pincement de cœur de quitter ainsi ce navire chéri. Le cœur du métier d’enseignant n’est-il pas de participer à la formation et à l’épanouissement des esprits et des cœurs ? La recherche dont on se gargarise tant est vite oubliée. Mais le retour ce soir de tous ces anciens montre bien que l’essentiel est ailleurs… dans la vie !

18 mai 2022
À Londres, les cotations du fret maritime se font toujours sur le Baltic Exchange. On l’a oublié, mais la Baltique fut l’un des premiers terrains de jeu du négoce occidental, le pendant nordique de la Méditerranée, longtemps dominé par le commerce hanséatique. Allemands et teutoniques, Danois et Suédois, Russes enfin s’y affrontèrent. La victoire soviétique de 1945 en fit presque une chasse gardée de l’URSS, bordée seulement par la neutralité suédoise et la méfiance finlandaise. La chute de l’URSS n’avait laissé à la Russie que l’enclave de Kaliningrad (l’ex-Königsberg allemande chère à Kant). Mais la guerre en Ukraine change à nouveau la donne avec la demande de la Suède et de la Finlande d’adhérer à l’OTAN. Poutine aura réussi à défaire ce que Pierre le Grand avait construit, lui qui avait déplacé sa capitale sur la Baltique, qui avait éliminé la Suède du continent et dont les successeurs avaient occupé la Pologne et la Finlande. Malgré les réticences turques, qui ne grandissent pas RT Erdogan, cette adhésion sera rapidement effective, modifiant ainsi les équilibres sécuritaires de cette mer, certes enclavée, mais qui reste le principal débouché vers l’ouest de la Russie, la mer Noire butant sur le Bosphore et le Grand Nord (Mourmansk) restant peu accessible. C’est là une nouvelle fracture faisant fi des neutralités passées. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Suède avait presque jusqu’au bout livré son minerai de fer à l’Allemagne. Cette fois-ci, elle a enfin choisi son camp.

16 mai 2022
Flambée des prix du blé qui a clôturé à plus de $ 12 le boisseau à Chicago, à $ 440 la tonne à Paris. La raison en est simple : le gouvernement indien a décidé d’un embargo sur les exportations de blé du pays. Normalement, l’Inde n’est pas un exportateur majeur. Sa politique agricole est avant tout tournée sur l’autosuffisance du pays : d’une part des prix garantis élevés aux producteurs avec une proportion importante d’achats publics, d’autre part des subventions à la consommation pour une partie importante de la population. Les stocks indiens sont traditionnellement élevés, mais les exportations éventuelles ne sont possibles que lorsque les prix mondiaux sont supérieurs aux prix domestiques. C’est le cas aujourd’hui et avec une excellente récolte en 2021, l’Inde a pu exporter 7 millions de tonnes sur l’année se terminant en mars 2022. Avec la guerre en Ukraine, les disponibilités indiennes ont attiré toutes les convoitises de pays comme l’Égypte. Mais voilà, l’Inde souffre d’une vague de canicule qui risque d’avoir des conséquences sur la prochaine récolte. Les prix intérieurs ont augmenté et Narendra Modi ne peut courir le risque de tensions alimentaires (alors même que le prix de l’huile de palme importée flambe). Cet embargo impromptu sème la panique avec des tonnages bloqués dans les ports, des incertitudes sur certains contrats avec l’Égypte notamment. La situation céréalière mondiale est plus tendue que jamais. Il faut espérer que la Chine diminue ses achats et puis… qu’il pleuve !


Le cercle CyclOpe
Son objet est de réunir de manière régulière (douze fois par an) les intervenants sur les marchés internationaux : banquiers, assureurs, brokers, gérants, négociants, producteurs et consommateurs se retrouvent pour échanger de manière informelle autour d’un déjeuner.

L’adhésion complète au Cercle CyclOpe comprend:
• Les réunions du Cercle:
– Six déjeuners ont lieu à Paris, à L’Automobile Club de France.
– Six déjeuners ont lieu à Genève, au Cercle de La Terrasse.
• Le rapport CyclOpe publié annuellement; (Disponible en version papier et numérique, en anglais comme en français);
• L’accès au Cercle des Experts et au réseau international CyclOpe;
• L’abonnement à la synthèse mensuelle (Chaque mois, c’est un document de référence de plus de 150 pages).

Pour vous abonner aux rapports ou aux événements de Cyclope, vous pouvez nous contacter à cyclope@ampersandworld.ch.


12 mai 2022
Le baccalauréat est de retour. On aurait pu croire qu’après deux ans de pandémie et surtout des résultats défiant toute logique de niveau scolaire, on en aurait fini avec cette « relique barbare ». Mais non, et on aurait tort de sous-estimer les capacités de résistance du mammouth bureaucratique de l’Éducation nationale. Les candidats planchent donc aujourd’hui pour leurs épreuves de spécialité. Ce devrait être important puisque c’est le cœur de la réforme Blanquer qui a supprimé les séries (L, ES, S) d’antan. Mais il y a déjà plusieurs semaines que nos futurs bacheliers ont présenté leurs choix sur la désormais célèbre plateforme Parcours Sup qui donc ne prendra pas en compte les résultats de ces épreuves de spécialité. C’est donc un bac « pour rien », les jeux sont faits. On aura probablement 95 % (au moins) de bacheliers 2022. Mais plus que jamais tout se sera joué avant, ce qui avantage ceux qui, par leur milieu social et familial, ont pu anticiper. Il est grand temps de mettre un terme à cette mascarade coûteuse et dénuée de quelque finalité que ce soit. Chaque lycée devrait pouvoir décerner un diplôme de fin d’études secondaires et puis ensuite laisser aux formations supérieures le soin de faire leur propre sélection. Mais le mot de sélection reste tabou et on lui préfère donc cet absurde baccalauréat.

11 mai 2022
C’est une image iconique que tout le monde a vue au moins une fois, extraite d’une affiche de film que Andy Warhol a retravaillé en 1964 et dont il a produit de multiples versions. Celle-ci est, paraît-il, la plus originale, la plus rare. « Shot Sage Blue Marilyn » s’est vendue aux enchères chez Christie’s à New York pour $ 195 millions, un record pour un artiste contemporain, la deuxième plus haute enchère de l’histoire après le célèbre Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci (il est probable que sur le marché de gré à gré d’autres œuvres rares aient déjà atteint de tels niveaux). Mais chez les contemporains Warhol détrône Basquiat et même Picasso. L’estimation donnée était de $ 200 millions et l’acheteur dans la salle étant le plus grand marchand d’art du monde, Larry Gagosian, on peut se demander s’il n’y a pas là un effort pour propulser la cote de Warhol dont il détient des stocks importants. Mais passons… Le même jour à Genève, « The Rock », un diamant blanc de 228 carats, n’a fait que 18,6 millions de francs suisses. Malgré la ruée sur les NFT, le marché de l’art reste donc attaché à ses valeurs traditionnelles qui peuvent atteindre des niveaux qui laissent rêveurs ! Quelque part dans cette figure de Marilyn Monroe, il y a un peu du rêve américain des sixties. Tiens, justement le catalogue des Pink Floyd vient de se vendre pour $ 500 millions !

8 mai 2022
Cela fait plusieurs semaines qu’il n’a pas plu en France et on commence à parler de sécheresse avec un niveau inquiétant de réserves en eau. Cela pourrait affecter les blés dans leur dernière phase de croissance avant la moisson et puis aussi tous les semis de printemps comme le maïs, la betterave sucrière ou le tournesol. Mais la situation est bien plus grave aux États-Unis pour le blé avec là aussi une sécheresse persistante. Plus loin, c’est l’Inde qui affronte une canicule historique qui pourrait remettre en cause des excédents céréaliers qui alimentent actuellement les marchés du blé. Enfin, comment ne pas oublier la situation dramatique de la Corne de l’Afrique qui en est à sa troisième année consécutive de sécheresse. La FAO estime que dans le monde 2,3 milliards d’hommes sont victimes de stress hydrique. L’accélération des conséquences du réchauffement climatique de la planète devient dramatique. Pour l’instant, les bilans céréaliers mondiaux restent encore favorables. Mais la guerre en Ukraine, des embargos comme celui de l’Indonésie pour l’huile de palme, l’importance aussi des achats chinois toujours difficiles à anticiper exposent bien des points de faiblesse qui pourraient déboucher sur une véritable crise alimentaire mondiale que l’on retrouve déjà dans les tensions sur les prix. Il suffirait d’un nouvel accident climatique, aux États-Unis par exemple cet été, pour que la situation agricole vire à la catastrophe. Le monde risque d’avoir encore faim !

6 mai 2022
L’Union européenne est en train de finaliser un nouveau paquet de sanctions à l’encontre de la Russie. On parle maintenant d’embargo sur le pétrole (à l’horizon de six mois) et les produits pétroliers (huit mois). Normalement, ce devrait être moins compliqué que pour le gaz naturel. Quoique ! Une partie du pétrole russe est importé par tankers : là pas de problèmes, il est possible, moyennant des ajustements pour les raffineries, de changer de fournisseurs. Mais la chose sera plus difficile pour les pays enclavés comme la Hongrie qui, depuis le temps de l’URSS, reçoivent directement leur pétrole de Russie par oléoducs. Les infrastructures manquent et puis les Hongrois traînent d’autant plus des pieds que, depuis février, ils profitent de la baisse des prix du pétrole russe : $ 35 le baril de moins que le Brent. Une autre sanction pourrait être encore plus efficace : celle qui interdirait aux armateurs, assureurs, courtiers et négociants de traiter du pétrole russe à l’exportation. Là c’est la Grèce qui bloque : les armateurs grecs contrôlent une bonne part de la flotte mondiale de tankers. Pourtant, le seul boycott des assureurs maritimes (les fameux PI Clubs) bloquerait une partie importante des exportations russes de pétrole, à l’exception probable des flux vers la Chine et l’Inde. Enfin, il y a le problème des produits pétroliers et notamment du diesel. Les raffineries russes (aux normes européennes les plus strictes) demeurent incontournables. L’unanimité européenne sera bien difficile à réaliser.

3 mai 2022
« L’idée s’impose qu’il n’y a pas de perspective progressiste en dehors d’une logique de rupture avec le capitalisme ». Lénine, Trotsky, Castro ? Non, Jean-Luc Mélenchon 2022 ! Que l’on puisse exprimer de telles idées est incontestablement un bienfait de la démocratie et de la liberté de penser. Par contre, quand elles émanent de l’homme, qui en un véritable tour de force vient de rassembler l’ensemble de la gauche, y compris les sociodémocrates du PS, il y a de quoi être inquiet de ce retour en arrière. Il y a beau temps que le capitalisme dont il faut saluer la dynamique de « destruction créatrice » est solidement encadré surtout dans un pays comme la France. Et l’Europe, dont Jean-Luc Mélenchon est si critique, est en pointe dans la lutte pour le contrôle des derniers avatars du capitalisme contemporain, les GAFAM. Jean-Luc Mélenchon est un admirable tribun, celui qui aujourd’hui en France fait le mieux vibrer les foules. Il aurait dû naître au XIXe siècle et là ses idées auraient eu quelque sens. Mais aujourd’hui ? Qui peut raisonnablement défendre les options collectivistes qui sous-tendent les envolées mélenchoniennes ? On souriait en écoutant Poutou et Arthaud, ultimes rejetons du trotskisme finissant. Ils avaient même quelque chose de rafraîchissant dans leur naïveté. Mais Jean-Luc Mélenchon qui prétend être Premier ministre ! La gauche est tombée bien bas dans la vacuité idéologique et on comprend mieux la mort du parti socialiste.

1 er mai 2022
Le 1er mai, il y a la tradition du muguet (toujours fidèle au poste dans les jardins… même basques), la fête de Saint-Joseph « travailleur » chez les catholiques et bien sûr la fête du Travail, fixée par la « Seconde internationale » en 1889 pour commémorer les massacres de Chicago le 1er mai 1886. Un peu plus tard, il y eut à Fourmies dans le Nord une autre fusillade le 1er mai 1891. Depuis, le 1er mai est donc célébré notamment en France par des défilés syndicaux auxquels se joignent souvent des politiques plutôt de gauche puisque le travail est considéré comme une valeur de gauche. À la fin du XIXe siècle, cela pouvait avoir un sens et l’opposition entre travailleurs et rentiers était une réalité. Tous les spectateurs français qui se pâment à la télévision et maintenant au cinéma pour « Downtown Abbey » doivent comprendre que dehors la notion de lutte des classes avait alors quelque sens. Mais aujourd’hui, le travail n’est plus une dimension clivante. Les clivages dans la société française sont ailleurs. 2 Ce 1er mai a quand même été un moment politique fort, dans la tradition cette fois de 1936 et du Front populaire, le nom revendiqué par Jean-Luc Mélenchon pour l’alliance autour des Insoumis (avec ce mot, on fait-là plutôt référence aux anarchistes de la fin du XIXe : « ni Dieu, ni maître ») qui semble désormais regrouper les Verts (malgré les réticences compréhensibles de Yannick Jadot), mais aussi le Parti socialiste qui risque d’y perdre quelques éléphants. Et même le PCF qui devrait se soumettre au diktat mélenchonien. Mais en ce jour symbolique, Jean-Luc Mélenchon a presque réussi son impossible pari : unifier la gauche.

24 avril 2022
Emmanuel Macron réélu ! La surprise n’est pas bien grande tant le résultat était attendu. Le score est moins humiliant pour Marine Le Pen qu’il y a cinq ans, mais au fond le scénario était idéal pour le président sortant qui « a vaincu sans péril ». La chance est une composante essentielle dans la vie politique : en 2017, Emmanuel Macron avait profité de l’affaire Fillon et du premier suicide du PS. En 2022, les deux grands partis historiques se sont effondrés d’eux-mêmes, ouvrant la voie aux extrêmes. De droite comme de gauche, Emmanuel Macron a profité de reports dont l’enthousiasme n’était pas la qualité première. Pour nombre de Français – ceux justement qui ont fait ce soir la différence –, il est un président par défaut. Convenons que pour la place de la France dans le monde, la réélection d’Emmanuel Macron est positive tant il reste aujourd’hui le chef d’état européen le plus écouté. Mais sur le plan intérieur, la crédibilité d’EM est beaucoup plus discutée à l’image de ses revirements sur la question du nucléaire ou des retraites. Il lui reste maintenant à disposer d’une majorité parlementaire, ce que les Français n’ont jamais refusé à un président au sortir des urnes. Mais « En Marche » n’est guère parvenu à quelque crédibilité que ce soit et il n’est pas sûr que le « miracle » de 2017 se reproduise. Jean-Luc Mélenchon rêve d’être Premier ministre : prématuré, mais pas impossible !

17 avril 2022
C’est la Pâque des chrétiens, mais hier les juifs ont fêté Pessah et les musulmans sont en plein ramadan. Les trois grandes religions du Livre vivent un moment important de leur foi. Elles représentent plus de la moitié de l’humanité au moins du point de vue culturel tant en particulier chez les chrétiens dont la pratique se réduit comme peau de chagrin : il en reste chez les catholiques français quelque vagues traditions, gigot pascal et œufs de Pâques… Mais c’est bien là quand même un moment de communion religieuse, au-delà des différences et même des antagonismes. Les guerres de religion demeurent pourtant d’une cruelle actualité, la religion étant encore souvent mise en avant pour des différences de races, de couleur de peau, de nationalismes étroits. Bien comprises en particulier dans leur message de tolérance trop souvent oublié par leurs extrémistes, les religions – et notamment celles du Livre – devraient au contraire tempérer les nouveaux impérialismes qui se font jour dans les guerres actuelles, de l’Ukraine aux confins chinois. Le message de Pâques, c’est la sortie d’Égypte et la libération du peuple d’Israël, c’est la résurrection du Christ, c’est le jeûne des musulmans, c’est à chaque fois un dépassement de l’humain vers le divin, c’est un moment d’Espérance dans un monde qui en a tant besoin.

14 avril 2022
C’est un petit pays fort lointain auquel nul ne songe si ce n’est le matin pour les consommateurs de thé… de Ceylan. Sri Lanka vient de se déclarer en défaut sur sa dette extérieure. Il n’y avait plus que $ 2 milliards de réserves de change et le pays, qui vit du thé et du tourisme, ne peut plus payer ses importations notamment d’énergie. Sri Lanka est dirigé par une famille, les Rajapaksa dont le mérite majeur est d’avoir mis un terme en 2009 à la guerre civile qui durait depuis un quart de siècle en écrasant les insurgés tamouls. Ils se sont malheureusement révélés incapables de reconstruire le pays. La carte du tourisme (plutôt bas de gamme et prisé en particulier par les Russes) a été affectée par la pandémie et la guerre en Ukraine a encore aggravé la situation, sans compter qu’une bonne partie du thé est exportée vers la Russie. L’autre carte a été celle de la Chine qui a vendu l’idée de faire de Sri Lanka une étape majeure des routes de la Soie. Les travaux ont commencé certes, mais aucun investissement n’a vraiment suivi. Et la méfiance de l’Inde n’a fait qu’augmenter. Le gouvernement a aussi accumulé les erreurs tant en termes monétaires et financiers que fiscaux. L’une des plus spectaculaires a été la décision d’un passage radical à l’agriculture « bio » en interdisant l’importation de produits phytosanitaires. Les rendements se sont effondrés et l’île n’a même plus les moyens de financer des importations alimentaires en forte hausse. Ceylan ne fait plus rêver.

12 avril 2022
Joe Biden, parlant des massacres découverts en Ukraine, a utilisé le terme de « génocide ». En Europe, le mot est employé avec beaucoup plus de précautions et, avec raison, Emmanuel Macron l’a réfuté. Génocide : le mot est ignoré des dictionnaires du XIXe siècle. Et pourtant, il y en avait eu des génocides, ce mot tiré de genos, la race, et de caedere, tuer. Dans l’histoire, les massacres systématiques liés à l’appartenance d’un groupe à une race et/ou une religion sont multiples. Il y a toutefois une dimension essentielle dans la notion moderne de génocide : le groupe victime, menacé d’extermination, est sans défense. Il ne s’agit pas d’une guerre et de ses aléas, mais de la volonté d’exterminer une race, un peuple, une religion devenus un temps les boucs émissaires d’un pouvoir dominant, sans même qu’ils ne soient révoltés. Ce fut le cas des Arméniens de l’Empire ottoman, des juifs de l’Europe nazie, des Hutus du Rwanda. Le génocide est la forme extrême du racisme identitaire. Parler par contre de génocide perpétré par les Espagnols aux Amériques est une absurdité. Le cas de la Vendée est une exagération notoire. Il en est de même pour l’Ukraine. Russes et Ukrainiens partagent origines ethniques et religieuses (Staline s’était chargé d’expulser les Tatars de Crimée). Il s’agit presque d’une guerre civile, et, on le sait, les guerres civiles sont les plus horribles de toutes. Mais de grâce, n’insultons pas les véritables victimes de génocides.

10 avril 2022
Les Français n’ont manifestement retenu de la phrase célèbre de Lampedusa dans Le Guépard que seulement rien ne doit changer. Cinq ans plus tard, il y aura donc les mêmes au second tour, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les grandes proportions de l’électorat français n’ont pas changé d’ailleurs : un bon tiers de populisme de droite, un gros quart de macronistes, un autre gros quart d’une gauche, elle aussi de plus en plus populiste et puis le délicieux éparpillement qui fait le charme des élections présidentielles à la française. La principale leçon, c’est bien sûr l’annihilation des deux partis historiques « de gouvernement » qui tiennent encore l’essentiel du terrain, des mairies aux conseils généraux et régionaux. Le PS s’attendait à ce désastre. Chez LR, on espérait encore. Si François Hollande a quand même fait le minimum en faveur d’Anne Hidalgo en perdition, Nicolas Sarkozy n’a pas levé le petit doigt et aura été l’ingrat fossoyeur d’un parti qui l’avait porté au pinacle. Le problème est que les trois « partis » arrivés en tête n’existent vraiment que par la figure de leurs chefs, souvent aussi fondateurs. En Marche !, les Insoumis et même le RN sont loin de l’âge « adulte » de partis politiques inscrits dans la durée. Ils incarnent ce que craignait Tocqueville dans son opposition à l’élection du président au suffrage universel : la personnalisation du pouvoir dans laquelle sombre maintenant la démocratie française. Rien ne change…

5 avril 2022
Faute de victoires militaires et estimant – à juste titre – que l’arme du gaz vis-à-vis de l’Europe est à double tranchant et pourrait – in fine – se retourner contre la Russie, voilà Vladimir Poutine qui menace maintenant le monde avec l’arme du blé ! Il menace ainsi de limiter ses exportations à des 3 pays « amis » auxquels il pourrait même consentir des conditions financières favorables. Il vise là bien sûr, les terrains favoris du « grand jeu » russe : la Méditerranée avec l’Algérie, l’Égypte, mais aussi la Turquie, l’Iran et bien sûr la Syrie et le Liban. Au-delà, il y a l’Afrique à commencer par le Sahel. Plus loin, c’est la Chine et peut-être même l’Indonésie. Le blé russe devient ainsi une arme diplomatique, comme d’ailleurs avant 1914 lorsque les exportations russes comblaient les besoins d’une Europe dépendante. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, l’Union européenne est exportatrice de blé (mais importatrice de maïs ukrainien). Curieusement, la dernière fois que l’on utilisa l’arme du blé, c’était en 1980. Les États-Unis étaient à la manœuvre et l’URSS était alors le premier importateur mondial de céréales. Face à l’invasion soviétique en Afghanistan (déjà !), le président Jimmy Carter décida d’un embargo céréalier et invita tous ses alliés à le suivre. Ce fut alors un échec et un an plus tard, le nouveau président, Ronald Reagan, leva l’embargo. Les États-Unis avaient perdu la guerre du blé. Il risque d’en être de même pour Vladimir Poutine.

4 avril 2022
Des images de mort. Des cadavres sur des chaussées défoncées, les mains souvent liées dans le dos. Des civils, pas des combattants abattus sans raison si ce n’est la peur. La guerre en Ukraine a franchi un seuil qui rappelle les pires moments de la guerre en Yougoslavie et puis aussi les massacres perpétrés en Ukraine même par les armées allemandes. Mais là, il ne peut y avoir de prétexte ethnique ou racial. Ce sont des crimes gratuits perpétrés par une armée à la dérive qui retrouve là ses pires réflexes, ceux d’Afghanistan, de Tchétchénie, de Géorgie. Bien sûr, il n’y a jamais eu de guerre propre. Les Européens qui, depuis deux générations n’en ont pas connue, l’ont bien oublié. On rêve de guerres électroniques, de drones intelligents frappant sans bavures. La réalité, elle, est dans ces rues ukrainiennes avec la peur des deux côtés, celle du bourreau, celle de la victime. Ces massacres bien sûr sont un aveu de faiblesse : cette « opération spéciale » est une guerre contre l’Ukraine qui commence à retourner même les Ukrainiens jusque-là prorusses. Elle est le fait d’une armée aux abois, mal commandée où les hommes sur le terrain sont abandonnés à leurs pires instincts, des mercenaires souvent aussi, les mêmes qui terrorisent quelques pays d’Afrique. Ces cadavres dans la rue rappelaient celui, bien oublié, d’un enfant baigné par la mer sur une plage de Turquie. En Syrie déjà, il fuyait l’horreur russe.

1er avril 2022
En ce premier matin d’avril, les ménages français et britanniques sont confrontés à des sorts bien différents. En France, c’est le sourire avec la baisse de 18 centimes le litre de carburant à la pompe, annoncée pour quatre mois. Au Royaume-Uni, c’est plus que la grimace avec la hausse de 45 % des tarifs de base du gaz pour les particuliers ce qui, pour un foyer moyen, représentera sur une année une augmentation de £ 700. On retrouve bien là le cœur du modèle britannique, ancré dans l’économie de marché, relativement indifférent aux inégalités comme le montrent de manière si cruelle les films de Ken Loach. Dans ce cas, ce sont bien sûr les pauvres qui sont les premiers touchés. Rien de cela en France où l’État providence se fait aussi « État-édredon ». Les prix du gaz et de l’électricité aux particuliers sont – de facto – plafonnés. Il restait les carburants et après un chèque symbolique – déjà oublié – voilà une mesure qui coûte quand même un milliard d’euros par mois. Le réalisme des uns est bien cruel et on peut s’en indigner. L’aveuglement des autres peut inquiéter et ce n’est pas le climat étrange des derniers jours d’une campagne électorale qui suffit à l’expliquer. Il y avait d’autres manières, certes plus complexes comme les chèques-carburants, d’aider ceux qui sont contraints d’utiliser chaque jour leur voiture. Celle qui a été choisie est quand même la plus irresponsable.

31 mars 2022
Faut-il payer le gaz russe en roubles ? Si l’on en croit Vladimir Poutine, il le faudra bien à partir d’avril. Dans un prurit de nationalisme monétaire, il a décidé que les pays « hostiles » devront s’acquitter de leurs achats en roubles. Ceci concerne, bien sûr l’Union européenne puisque les contrats d’achat de gaz naturel stipulent que les paiements se font en euros. C’est assez logique et normalement un pays exportateur de matières premières apprécie d’être payé en devise forte. Mais la Russie a le souci – à la fois monétaire et nationaliste – de maintenir la parité du rouble qui s’était effondré au lendemain de l’invasion. Et puis surtout Poutine sait que le point faible de l’Europe c’est bien sûr le gaz. Les stocks sont bas (25 % des capacités), l’hiver revient, le marché du GNL est tendu et les promesses américaines n’engagent que ceux qui les croient. Le gaz russe devrait arriver encore en avril, mais les robinets se fermeront ensuite puisque les principaux pays européens ont décidé de refuser de payer en roubles. Au plus tard en mai, Poutine mettrait sa menace à exécution. Bien sûr, nul ne sait ce que sera la situation sur le terrain alors, mais la menace est là. Sans gaz russe, ce sont moins les particuliers que l’industrie qui souffrira. Imaginons simplement l’arrêt des fours de verreries, l’un des secteurs industriels les plus concernés. Bien sûr, la Russie peut y perdre aussi, mais sa dépendance au gaz est bien moindre que pour le pétrole. C’est là que l’Europe doit contre-attaquer.

29 mars 2022
Une campagne électorale bien morne a trouvé une petite dose de piquant avec ce que certains qualifient déjà de « Mc Kinseygate », c’est-à-dire l’usage immodéré que feraient certaines administrations de cabinets de consultants au premier rang desquels donc Mc Kinsey (qui ferait en plus de… l’optimisation fiscale). Cela n’est pas en fait nouveau, mais on peut à juste raison s’étonner de l’ampleur prise par le phénomène et cela d’autant plus qu’au cœur de chaque ministère on trouve des « inspections générales » où de hauts fonctionnaires – en général de grande qualité et expérience – finissent leurs carrières et sont disponibles pour de telles missions. L’avantage d’un cabinet de conseil est malgré tout de donner un regard extérieur, d’être en réalité une sorte de psychanalyste sur le divan duquel on trouve souvent soi-même les solutions à ses problèmes. Les consultants doivent bien sûr être des gens d’expérience ayant du métier. Tel n’est pas toujours le cas. Enseignant en master 2 à Dauphine, je suis toujours surpris de l’engouement de mes étudiants pour les activités de conseil (Mc Kinsey étant là une sorte de Graal). Ils n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise si ce ne sont quelques stages et les voilà juniors, puis seniors, managers et enfin partenaires. Au fil du temps, ils grappillent certes de l’expérience, mais bien souvent, ils appliquent une méthode et en étant un peu cruel, les « slides » de leurs présentations en PowerPoint sont prérédigées et interchangeables. Dans le meilleur des cas, ils peuvent servir de révélateur et même d’aiguillon pour le changement. Bien souvent, ils servent seulement de caution et de cache-misère. Mais à un prix qui n’est pas misérable !

27 mars 2022
Fin de la tournée européenne de Joe Biden. Il a rencontré ses alliés à Bruxelles pour un sommet de l’OTAN et quelques entretiens bilatéraux. Il a serré dans ses bras des enfants ukrainiens… en Pologne, car il a évité de se rendre sur le terrain. Il a fait moult déclarations et promesses. So what ? Les États-Unis certes se sont engagés avec des plans massifs d’aide militaire à l’Ukraine. Ils ont contribué à redonner une colonne vertébrale à l’OTAN et on peut même estimer qu’ils ont galvanisé les plus mous à l’image notable des Allemands. En matière de sanctions, l’affaire est beaucoup plus limitée dans la mesure où les échanges directs avec la Russie étaient assez faibles : l’embargo sur l’énergie ne doit pas faire illusion.
Très médiatisé, l’engagement américain à fournir du GNL à l’Europe n’est que promesse. Les autorités américaines ne maîtrisent pas les flux de GNL qui sont le fait d’entreprises privées qui certes gagnent beaucoup d’argent aujourd’hui (leurs coûts sur la base des prix intérieurs américains sont de l’ordre de $ 8 par mbtu quand les cours mondiaux fluctuent entre $ 25 et $ 35 !), mais qui n’ont aucune intention de faire des cadeaux aux Européens. Il n’est pas certain que des achats groupés européens inciteront les « amis » américains à faire des prix et ce d’autant plus que la demande asiatique reste forte.
Joe Biden est reparti. L’Europe est seule.

25 mars 2022
Pendant que tous les yeux de la planète sont tournés vers le calvaire de l’Ukraine, on en oublie le reste du monde. L’Afghanistan n’est plus dans les mémoires que pour l’infamie du retrait américain de Kaboul que Joe Biden essaie de faire oublier en bombant le torse en Ukraine. Pendant ce temps-là, on en oublie les talibans et leur reprise en main musclée de ce malheureux pays. Rompant avec leurs promesses, ils viennent ainsi de repousser – sans limite apparente – la rentrée des filles dans les collèges et lycées. Un voile d’obscurantisme tombe à nouveau : les petites filles peuvent aller encore à l’école primaire, mais au-delà, le tabou demeure. Le seul héritage de l’intervention occidentale en Afghanistan restait celui de la libération des femmes : elles avaient commencé à s’émanciper dans les structures traditionnelles de la société afghane et, comme toujours, cela avait commencé par la bourgeoisie urbaine un peu occidentalisée. Puis était venu le temps des talibans de la première génération. Après leur chute, la société afghane avait encore évolué et on pouvait espérer des « nouveaux » talibans un peu plus d’ouverture et d’adaptation à la réalité sociologique du pays. Il n’en est donc rien et une chape de plomb tombe à nouveau sur ce malheureux pays que le reste du monde a oublié. Tristes cerfs-volants de Kaboul.

 


Le cercle CyclOpe
Son objet est de réunir de manière régulière (douze fois par an) les intervenants sur les marchés internationaux : banquiers, assureurs, brokers, gérants, négociants, producteurs et consommateurs se retrouvent pour échanger de manière informelle autour d’un déjeuner.

L’adhésion complète au Cercle CyclOpe comprend:
• Les réunions du Cercle:
– Six déjeuners ont lieu à Paris, à L’Automobile Club de France.
– Six déjeuners ont lieu à Genève, au Cercle de La Terrasse.
• Le rapport CyclOpe publié annuellement; (Disponible en version papier et numérique, en anglais comme en français);
• L’accès au Cercle des Experts et au réseau international CyclOpe;
• L’abonnement à la synthèse mensuelle (Chaque mois, c’est un document de référence de plus de 150 pages).

Pour vous abonner aux rapports ou aux événements de Cyclope, vous pouvez nous contacter à cyclope@ampersandworld.ch.